En 2014, on ne parlait pas encore de « guerre hybride » ou du grand retour de Moscou en Afrique ». sur Radio Moscou, le géopoliticien ouvre un « nouveau front ». Un Rapport du Pentagone de 2020 identifie 5 grands « entrepreneurs d’influence » au cœur de la guerre de l’information russe et de la diplomatie parallèle russe en Afrique, dont Yevgeny Prigozhin et Luc Michel, « ouvreur de nouveaux fronts »…

EN JUILLET 2014, LUC MICHEL EXPIQUE SES THESES POUR ‘SPUTNIK’

Vous avez mentionné récemment « l’Axe Moscou-Téhéran-Malabo ». De quoi s’agit-il ?

Luc Michel : Je vais essayer de vous résumer ce nouveau concept géopolitique, révolutionnaire, – « L’Axe Eurasie-Afrique » -, que j’ai inventé il y a un an maintenant et qui émerge au niveau des panafricanistes. Car il a été conçu au départ pour l’Afrique. Ce sont des positions géopolitiques novatrices. L’alternative géopolitique du futur, « l’Axe Eurasie-Afrique », est centré sur le triangle Moscou-Malabo-Téhéran et basé sur les concepts « dimension – puissance – indépendance » et des « blocs continentaux autocentrés ».

L’Axe Eurasie-Afrique doit s’appuyer sur les pivots que sont ces trois capitales : Moscou, Malabo et Téhéran. En 2050, il y aura certainement un gros bloc nord-américain qui englobera le Canada et le Mexique, peut-être plus loin encore, et à côté de ça, une grande puissance chinoise avec certainement entre 1,5 et 2 milliards d’habitants. La dimension, c’est aussi la population. Face à ça, comment rester acteurs de l’histoire ? Il faut un bloc géopolitique qui puisse faire le contrepoids. Ce n’est pas l’Afrique seule, pas même l’Eurasie, qui le fera, c’est l’axe Eurasie-Afrique. Un bloc continental ayant pour pivots trois capitales : Moscou, Malabo – Pourquoi Malabo ? Parce qu’il n’y a qu’ici qu’on essaie de renouveler la pensée panafricaniste dans la ligne du colonel Kadhafi – et Téhéran, puisque l’Iran est la grande puissance qui émerge au Moyen-Orient en ce moment. Ce doit être un bloc égalitaire, avec des relations égalitaires entre l’Afrique et l’Eurasie. Si nous ne faisons pas cela, nous ne serons plus des acteurs de l’histoire…

LVdlR : Pourriez-vous nous dire aussi quelques mots sur la genèse de ce concept ? Vous dirigez en Europe un parti, le PCN, d’orientation eurasienne. Et on vous voit aussi émerger rapidement depuis deux ans comme théoricien et activiste panafricaniste. Est-ce la synthèse géopolitique et idéologique de ces deux dimensions de votre action ?

Luc Michel : J’ai de nombreuses vies politiques. Simultanées. Et je suis un internationaliste convaincu, un transnationaliste pour être plus précis.

L’une de mes vies est ce que la presse belge (hostile) appelle la « diplomatie parallèle » avec notre Ong EODE. Qui a une grande partie de ses activités depuis 2009 en Afrique, avec sa Branche EODE-AFRICA, dont l’administrateur, le Camerounais Gilbert Nkamto, est le n°2 d’EODE.

Une autre se développe depuis plus de 40 ans en Europe et s’est structurée autour d’un parti, le PCN, et d’une idée-force « la Grande-Europe de Vladivostok à Reykjavik ». En 1984 avec ma revue Conscience européenne – j’animais alors avec Jean Thiriart l’Ecole « euro-soviétique » de géopolitique (devenue aujourd’hui l’Ecole géopolitique de la « Grande-Europe ») – dans son n°9 consacré aux « théories géopolitiques des grands espaces » redécouvrait et réinventait l’Eurasisme. Huit ans avant que suite au voyage de Thiriart à Moscou en 1992, Ziouganov (le leader du Parti communiste russe, avec son Eurasisme de gauche, devenu celui de Poutine) et Douguine (Néo-Eurasisme de droite) adoptent cette idée réinventée à Bruxelles. Il y a huit ans, j’annonçais la naissance d’une « Seconde Europe » géopolitique, eurasiatique, autour de Moscou. Et annonçait le choc idéologique, politique et économique de Bruxelles et Moscou. Celui dont les événements présents de Kiev sont la manifestation la plus brutale …

Mais j’ai aussi une troisième vie.

Je suis à l’origine un « paneuropéiste », j’ai été initié au panafricanisme par le colonel Kadhafi. J’ai exercé des responsabilités sous la Jamahiriya (dès 1997) au sein des Comités Révolutionnaires libyens, dont je dirigeais le réseau paneuropéen (le MEDD-MCR qui s’est maintenu après 2011 et travaille toujours). Et depuis deux à trois ans, j’essaie d’avoir un rôle moteur dans la renaissance d’un nouveau panafricanisme. Je considère que l’Afrique est un des territoires-clé géopolitique du futur. C’est ici que se déroule un des grands affrontements qui devra déterminer le sort du monde. Et je pense que, même sans être d’origine africaine, on peut défendre le panafricanisme, il y a eu de grandes figures : Che Guevara qui n’était pas Africain et qui est venu se battre au Congo en 1965, ou des gens comme Nasser et Kadhafi, qui à l’origine sont des Arabes ou des panarabistes, qui ont été attirés comme moi par le sort du Continent noir. Kadhafi pensait en terme de géopolitique des continents. Il voulait une Afrique unie, et j’ajouterais, puisque je suis sur cette même ligne, pensait que le Panafricanisme et le Paneuropéisme doivent s’unir pour se dégager de la domination étasunienne. La Méditerranée doit redevenir le point de rencontre, la mer commune, la « Mare nostrum » des Romains.

On doit comprendre quelque chose, ce qu’on appelle actuellement l’Occident, c’est le bloc américain. Et dans ce bloc l’UE est la plus grande des colonies étasuniennes depuis 1945. Qu’est-ce qui fait la puissance américaine depuis 1945 ? C’est le contrôle de la seconde économie la plus puissante au monde qui est l’économie de l’Europe occidentale. Qu’est-ce qui permet aux Américains d’être une superpuissance ? C’est non seulement la puissance nord-américaine elle-même, mais (aussi) le contrôle de la puissance de l’Union européenne. Si voulez, pour prendre (l’exemple d’) un corps humain, l’Union européenne est le deuxième poumon des Américains. Cela s’exprime depuis 1944 au travers d’un système de domination coloniale en Europe. Il faut comprendre qu’en 1945 l’Europe est passée du statut de puissance coloniale au statut de colonie, c’est une colonie américaine. Ma position est assez simple, je ne me définis pas comme Occidental, je me définis comme un Européen et comme un décolonisateur et quelqu’un qui combat le colonialisme. En Europe, en Eurasie et en Afrique !

COMMENT S’EST ORGANISEE LA RUSSOSPHERE EN EURASIE ET EN AFRIQUE ?

Guerre hybride et action géopolitique, comment s’est effectué le grand retour de la Russie dans l’Espace post-soviétique (2006), puis en en Afrique (2015) ? Quelle a été la stratégie pour organiser ce « come back » russe en Afrique un quart de siècle après le départ des soviétiques ?

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Luc Michel, géopoliticien, s’exprime sur ce sujet.

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