Karel Huybrechts (avec RTS) pour
Le Quotidien géopolitique – Geopolitical Daily/
de LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ)/
2022 06 04/ Série IV/

L’art opératif militaire russe est centré sur l’organisation de pièges stratégiques, les « maskeritza ». Les soi-disant « victoires ukrainiennes » devant Kiev et Kharkhov n’ont été en réalité que des piéges stratégiques fixant les forces ukrainiennes et dégarnissant le front du Donbass. Ces pièges font écho à la plus célèbre de ces
« maskeritza » : le piége stratégique tendu par Staline et Joukov à la Wehrmacht nazie devant Moscou fin 1941. Loin des analyses foireuses des généraux et des colonels français des plateaux TV, style colonel Goya de BFM TV, les Gamelins de 2022, un véritable expert militaire suisse décrypte la strtégie gagnante de Poutine …

Le Kremlin a estimé ce vendredi avoir rempli « certains » de ses objectifs après 100 jours d’offensive contre l’Ukraine, jugeant que de « nombreuses localités » avaient été « libérées », permettant aux populations un retour à « une vie pacifique ». « Ce travail va se poursuivre, jusqu’à ce que tous les objectifs de l’opération militaire spéciale soient remplis », a dit à la presse le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov. La Russie a lancé le 24 février une vaste offensive contre l’Ukraine, justifiée par la nécessité de protéger d’un « génocide » la population russophone du Donbass, région dans l’est du pays en partie contrôlée depuis 2014 par des séparatistes prorusses. Il s’agit aussi selon Moscou de « dénazifier » le pouvoir ukrainien, dont l’installation progressive d’un régime fantoche pro-américain est perçue par la Russe depuis des années comme une menace.

La Russie a piégé les ukainiens devant Kiev et Kharkov et a lancé le vrai assaut sur le nord de l’Ukraine. Poutine a répondu en regroupant et en concentrant ses forces dans l’est de l’Ukraine, où la Russie continue d’avancer lentement mais régulièrement. De vastes pans du sud de l’Ukraine ont été capturés au cours des premiers jours et restent aux mains des Russes. Cela a permis à Moscou d’établir un pont terrestre reliant la péninsule de Crimée aux entités mandataires russes créées par le Kremlin dans l’est de l’Ukraine il y a huit ans. Kiev manque actuellement de forces militaires et d’équipements militaires lourds pour disputer les régions tombées sous contrôle russe. Le Kremlin prend actuellement des mesures actives pour intégrer ces territoires dans la Fédération de Russie. Les symboles de l’État ukrainien sont retirés des espaces publics, le programme russe est introduit dans les écoles locales et la monnaie ukrainienne hryvnia est remplacée par le rouble russe. Les médias ukrainiens, les services Internet et les opérateurs de téléphonie mobile ont été coupés.

La bataille pour le sud de l’Ukraine dépendra probablement du contrôle de la région de Kherson, située directement au nord de la Crimée. Il n’est pas exagéré d’affirmer que l’avenir de l’Ukraine en tant qu’État indépendant viable pourrait dépendre de la reprise du contrôle de cette région. Pour Moscou, les enjeux sont tout aussi élevés. L’intégration de Kherson permet à la Russie de fournir de l’eau douce à la Crimée occupée et est essentielle pour le pont terrestre de Poutine reliant la péninsule à la frontière russe via Berdiansk et Marioupol dans le sud-est de l’Ukraine. La région de Kherson est également un tremplin pour de nouvelles avancées russes anticipées le long de la côte de la mer Noire vers Odessa. Cela permettrait au Kremlin de couper l’Ukraine de la mer et de contrecarrer les plans visant à briser le blocus naval russe actuel des ports ukrainiens de la mer Noire.

La domination russe sur la côte sud-est de l’Ukraine, qui s’étend de la Crimée à la frontière russe, a déjà permis à Moscou de transformer la mer d’Azov en un lac russe.

Bloquer complètement l’accès de l’Ukraine à la mer Noire porterait un coup fatal à l’économie ukrainienne, fortement exportatrice, et ne laisserait au pays d’autre choix que d’accepter la paix aux conditions de Moscou.

Outre son importance stratégique, le sud de l’Ukraine a également une grande valeur idéologique pour la Russie. Depuis la prise de la Crimée et le déclenchement des hostilités avec l’Ukraine au printemps 2014, les responsables du Kremlin et les nationalistes russes ont ressuscité un terme tsariste géopolitique à moitié oublié, la « Novorossiya » (« Nouvelle Russie ») pour décrire les régions de l’est et du sud de l’Ukraine qu’ils recherchent. Poutine a accusé à plusieurs reprises les premiers dirigeants bolcheviques d’avoir accordé à tort à l’Ukraine soviétique ces régions du sud tout en affirmant légitimement que toute la région est en fait «l’ancienne terre russe». C’est la clé des rêves de Poutine d’un nouvel empire russe ! Plus de trois décennies après l’effondrement de l’URSS, la Russie de Poutine reste une puissance impériale.

LM

BERNARD WICHT, EXPERT MILITAIRE SUISSE :
« LE SUCCES DE L’OPERATION RUSSE, C’EST D’AVOIR REUSSI A MYSTIFIER TOUT LE MONDE »
(RTS, 1er juin 2022)

L’analyse de Bernard Wicht, expert en stratégie militaire, sur l’évolution du conflit en Ukraine, favorable aux Russes :

https://www.rts.ch/info/monde/13135499-bernard-wicht-le-succes-de-loperation-russe-cest-davoir-reussi-a-mystifier-tout-le-monde.html

« L’étau des forces russes se resserre autour des villes-clé du Donbass, où la Russie cherche à établir un contrôle complet sur le bassin minier. Pour le spécialiste en stratégie militaire Bernard Wicht, on voit aujourd’hui se dessiner le résultat d’une stratégie gagnante de la Russie.
À travers les bâtiments dévastés, les forces russes ont progressé vers le centre de Severodonetsk, ville stratégique du Donbass où se déroulent désormais des combats de rue. L’entrée dans cette ville représente une avancée symbolique majeure pour la Russie.

L’armée ukrainienne perd ainsi du terrain dans la région du Donbass.

AUX YEUX DE L’ENSEIGNANT A L’UNIVERSITE DE LAUSANNE BERNARD WICHT, AUTEUR DE PLUSIEURS LIVRES SUR LA STRATEGIE MILITAIRE, CETTE SITUATION RESULTE DE « L’ART OPERATIF » DE MOSCOU, QUI VISE DEPUIS LE DEBUT DE SON INVASION DES OBJECTIFS BIEN DIFFERENTS DE CEUX PERÇUS PAR LES OCCIDENTAUX.

A travere les bâtiments dévastés, les forces russes ont progressé vers le centre de Severodonetsk, ville stratégique du Donbass où se déroulent désormais des combats de rue. L’entrée dans cette ville représente une avancée symbolique majeure pour la Russie. La bataille pour le contrôle du Donbass fait rage dans l’est de l’Ukraine.

« L’ART OPERATIF » DE MOSCOU VISE DEPUIS LE DEBUT DE SON INVASION DES OBJECTIFS BIEN DIFFERENTS DE CEUX PERÇUS PAR LES OCCIDENTAUX.

L’armée ukrainienne perd ainsi du terrain dans la région du Donbass. Aux yeux de l’enseignant à l’Université de Lausanne Bernard Wicht, auteur de plusieurs livres sur la stratégie militaire, cette situation résulte de « l’art opératif » de Moscou, qui vise depuis le début de son invasion des objectifs bien différents de ceux perçus par les Occidentaux.

« C’EST DIFFICILE A DIRE COMPTE TENU DE LA SITUATION HUMANITAIRE, MAIS DU POINT DE VUE DE LA STRATEGIE MILITAIRE, LA MANOEUVRE ENTREPRISE PAR L’ARMEE RUSSE DEPUIS LE DECLENCHEMENT DE LA GUERRE ENTRERA PROBABLEMENT DANS LES ANNALES DE L’HISTOIRE COMME UN MODELE DU GENRE », ESTIME-T-IL.

Trois mystifications :
Selon lui, le succès des opérations russes, « c’est d’avoir réussi à mystifier tout le monde ». D’abord en donnant l’impression qu’ils cherchaient à mener une opération rapide, comme ils avaient déjà pu le faire par le passé. Ensuite, en faisant croire qu’ils cherchaient à prendre la capitale Kiev. Puis, désormais, à rassembler et fixer les forces ukrainiennes près de la ville symbolique de Kharkiv.

« LES UKRAINIENS DEFENDENT KIEV ET KHARKOV. PENDANT CE TEMPS LES RUSSES ONT LES MAINS LIBRES DANS LE DONBASS », ARGUE BERNARD WICHT.

Des objectifs pas seulement militaires :
Par ailleurs, les victoires militaires et les gains territoriaux ne sont pas le seul objectif de l’opération de Moscou. « Les Russes pratiquent ce qu’on appelle l’art opératif. Ils ne cherchent pas à détruire l’adversaire, mais à le pousser à s’effondrer sans se laisser entraîner dans un combat d’usure. »

Or, pour le spécialiste, certains de ces objectifs ont déjà été atteints: faire peur à l’Union européenne et montrer à l’Otan jusqu’où ils sont prêts à aller. « Nous, Occidentaux, nous voyons le combat comme une bataille gagnée ou perdue. Mais ce n’est pas la vision russe ». »

Luc MICHEL (Люк МИШЕЛЬ)

* Avec le Géopoliticien de l’Axe Eurasie-Afrique :
Géopolitique – Géoéconomie – Géoidéologie – Géohistoire – Géopolitismes – Néoeurasisme – Néopanafricanisme
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